- Toute personne ayant personnellement souffert d’un dommage directement causé par une infraction peut se constituer partie civile pour obtenir la réparation de ce dommage devant le juge pénal (CPP art. 2, al. 1).
- En décidant qu’un associé ne peut pas demander devant le juge pénal l’octroi d’une indemnité destinée à réparer la perte de valeur de ses titres résultant d’un abus de biens sociaux, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence.
- A notre avis, la solution donnée dans les décisions ci-dessus est également applicable en cas de constitution de partie civile des associés devant les juridictions d’instruction.
- Ainsi, que l’action en responsabilité soit exercée par l’associé devant les juridictions civiles ou pénales, celui-ci ne peut plus désormais demander que la réparation d’un préjudice personnel résultant de la faute commise.
(c) 2018 Editions Francis Lefebvre – Revue de jurisprudence de droit des affaires 2001
Toute personne ayant personnellement souffert d’un dommage directement causé par une infraction peut se constituer partie civile pour obtenir la réparation de ce dommage devant le juge pénal (CPP art. 2, al. 1).
En décidant qu’un associé ne peut pas demander devant le juge pénal l’octroi d’une indemnité destinée à réparer la perte de valeur de ses titres résultant d’un abus de biens sociaux, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence.
Jusqu’à présent, en effet, la Cour jugeait que ce délit portait non seulement atteinte au patrimoine social, mais aussi au patrimoine propre de l’associé (Cass. crim. 25 novembre 1975 : Bull. crim. n° 257), privé d’une partie des bénéfices sociaux et victime d’une minoration de la valeur de ses titres résultant des abus commis (Cass. crim. 23 avril 1964 : Bull. crim. n° 127).
En matière d’abus de pouvoirs, la Cour de cassation n’a, semble-t-il, jamais admis la constitution de partie civile des associés. Ainsi, dans un arrêt censurant la décision d’une cour d’appel qui avait déclaré recevable la constitution de partie civile du comité d’entreprise d’une société victime d’un abus de pouvoirs, elle a précisé que les faits reprochés aux dirigeants n’étaient susceptibles de causer un préjudice direct qu’à la société elle-même (Cass. crim. 4 novembre 1988 : Bull. crim. n° 373).
Par les arrêts rapportés, la Cour de cassation aligne la situation des associés sur celle des créanciers, dont elle a toujours refusé la constitution de partie civile au motif que le préjudice subi par ceux-ci, à le supposer établi, est seulement indirect (notamment Cass. crim. 24 avril 1971 : Bull. crim. n° 117 ; Cass. crim. 27 juin 1995, n° 3064 : RJDA 11/95 n° 1244 ; Cass. crim. 11 mai 2000, n° 3080 : RJDA 9-10/00 n° 875, 2e espèce).
Pour admettre la constitution de partie civile des associés, il faudrait que ces derniers établissent l’existence d’un préjudice personnel, distinct de celui résultant de la dépréciation des titres de la société, dont seule cette dernière peut demander réparation. En pratique, la reconnaissance par le juge pénal d’un préjudice propre à l’associé devrait concerner des hypothèses exceptionnelles.
A notre avis, la solution donnée dans les décisions ci-dessus est également applicable en cas de constitution de partie civile des associés devant les juridictions d’instruction.
En effet, même si les critères de recevabilité de constitution de partie civile sont moins stricts devant ces juridictions – puisqu’il suffit alors que les circonstances sur lesquelles s’appuie le demandeur permettent au juge d’admettre comme possibles, d’une part, l’existence du préjudice allégué et, d’autre part, la relation directe de celui-ci avec l’infraction (Cass. crim. 4 novembre 1969 : Bull. crim. n° 281) -, le principe énoncé dans les arrêts ci-dessus ne semble pas permettre au juge d’instruction d’admettre que la dépréciation des titres puisse constituer un préjudice propre aux associés.
Privés de la possibilité d’obtenir réparation de leur préjudice devant le juge pénal, les associés ne peuvent pas non plus en obtenir réparation devant les juridictions civiles en exerçant une action en responsabilité contre les dirigeants fautifs sur le fondement de l’article 52, al. 1 (pour les SARL) ou 244, al. 1 (pour les SA) de la loi du 24 juillet 1966 (devenus les articles L 223-22, al. 1 et L 225-251, al. 1 du Code de commerce).
En effet, la Cour de cassation a jugé que les associés ne peuvent pas demander réparation des fautes de gestion des dirigeants ayant contribué à déprécier la société dès lors que le préjudice qu’ils subissent n’est que le corollaire du dommage causé à celle-ci et n’a aucun caractère personnel (Cass. com. 1er avril 1997, n° 879 : RJDA 5/97 n° 659, 2e espèce).
Ainsi, que l’action en responsabilité soit exercée par l’associé devant les juridictions civiles ou pénales, celui-ci ne peut plus désormais demander que la réparation d’un préjudice personnel résultant de la faute commise.
La dépréciation des titres d’une société résultant d’un abus de biens sociaux (1e espèce) ou d’un abus de pouvoirs (2e espèce) commis par les dirigeants sociaux constitue un préjudice subi par la société elle-même et non un dommage propre à l’associé.
Par suite, celui-ci ne peut pas se constituer partie civile afin d’obtenir une indemnité destinée à réparer la perte de valeur de ses titres causée par ces infractions (1e et 2e espèces).
1e espèce :
Cass. crim. 13 décembre 2000, n° 7552 FS-PF, Leonarduzzi.
MM. Cotte, Prés. – Martin, Rapp. – Lucas, Av. gén. – Me Blondel et SCP Ancel et Couturier-Heller, Av.
(Extraits)
(…) Sur le moyen unique de cassation proposé pour Félice Dal Dan, pris de la violation des articles 437, 437-3, 460, 463 et 464 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, violation de l’article 2 du Code de procédure pénale, violation de l’article 1382 du Code civil, du principe de la réparation intégrale, et méconnaissance des exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale ;
« en ce que l’arrêt attaqué, après avoir reçu la constitution de partie civile de Félice Dal Dan, débouta ce dernier au fond ;
« aux motifs que Félice Dal Dan, partie civile appelante, sollicite la condamnation de Raynald Léonarduzzi à lui payer les sommes suivantes :
– 1 500 000 F à titre de dommages et intérêts,
– 15 000 F sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ; que Félice Dal Dan, en sa qualité d’associé de la société SDL, invoque un préjudice matériel résultant, selon ses écritures, du non-remboursement de son compte courant créditeur d’un montant de 1 030 598,47 F, intérêts compris, et de la perte de valeur de son invention dans la société ; que la créance alléguée par la partie civile au titre de son compte courant est sans lien de causalité directe avec l’abus de bien social commis par Raynald Léonarduzzi ; qu’en outre, la société SDL a été condamnée, par un arrêt en date du 21 juin 1995 de la cour d’appel de Paris, à rembourser à Félice Dal Dan le montant de son compte courant, étant de plus observé qu’il n’est pas démontré que la perte de valeur d’un investissement de la partie civile dans la société SDL découle directement des agissements délictueux du prévenu ;
« alors que, d’une part, dans ses écritures très circonstanciées, la partie civile insistait sur le fait que la dilapidation des actifs de la société SDL en l’état des abus de biens sociaux imputables à son dirigeant, Raynald Léonarduzzi, avait été à l’origine de la liquidation judiciaire de ladite société laquelle, si elle avait remboursé tous ses autres créanciers, n’en fit pas de même à l’endroit de la partie civile qui, en l’état de la liquidation et de l’absence d’actif, n’a pu obtenir le montant de sommes importantes en sorte que c’était bien le comportement délictueux de Raynald Léonarduzzi constaté par la cour d’appel qui avait été à l’origine d’un préjudice spécifique tiré de l’impossibilité pour un créancier de recouvrer une créance – fût-ce pour partie – ; que ce préjudice spécifique était directement lié aux abus de biens sociaux déplorés et reconnus par les juges du fond ; qu’en déboutant cependant la partie civile à partir d’une simple affirmation, à savoir que la créance alléguée au titre du compte courant est sans lien de causalité directe avec l’abus de bien social déploré, la Cour méconnaît les exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale ;
« alors que, d’autre part, le fait que la société SDL ultérieurement mise en liquidation judiciaire ait été condamnée par un arrêt de la cour d’appel de Paris à rembourser Félice Dal Dan du montant de son compte courant, soit une somme de 864 906,455 F est sans emport par rapport à la question posée au juge pénal : l’abus de bien social ayant conduit au dépôt de bilan de la société fit que celle-ci n’ayant plus aucun actif, la créance ressortant de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 juin 1995 est restée irrecouvrable, d’où le préjudice direct souffert par la partie civile en l’état du comportement délictueux de Raynald Léonarduzzi ; qu’en statuant comme elle l’a fait sur le fondement de motifs inopérants, la Cour ne justifie pas légalement son arrêt au regard des textes cités aux moyens ;
« et alors, enfin, qu’en sa qualité d’associé de la société SDL, Félice Dal Dan subissait nécessairement un préjudice lié à la dilapidation de l’outillage destiné à la fabrication de balances en sorte que l’abus de bien social avait directement conduit à l’appauvrissement de la société SDL et donc aux dommages soufferts par son associé, Félice Dal Dan, à hauteur de 30 %, lequel a perdu tous les investissements faits (cf. 18 et 19 des conclusions d’appel) ; qu’en affirmant qu’il n’était pas démontré que la perte de valeur de l’investissement de la partie civile découle directement des agissements délictueux du prévenu cependant qu’il ressortait de l’arrêt lui-même que le prévenu avait dilapidé l’actif de la société SDL, la Cour ne justifie pas légalement son arrêt au regard des textes cités au moyen » ;
Attendu que, pour débouter Félice Dal Dan, actionnaire de la société SDL, de sa demande en dommages-intérêts fondée, d’une part, sur le non-remboursement de sa créance en compte courant et, d’autre part, sur la perte de son investissement dans le capital de la société, l’arrêt (CA Paris 3 décembre 1998, 9e ch.) énonce que la créance alléguée par la partie civile au titre de son compte courant est sans lien de causalité directe avec l’abus de bien social commis par Raynald Léonarduzzi et qu’il n’est pas démontré que la perte de valeur d’un investissement de la partie civile dans la société SDL découle directement des agissements délictueux du prévenu ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision ;
Qu’en effet, la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme, Rejette les pourvois.
(c) 2018 Editions Francis Lefebvre – Revue de jurisprudence de droit des affaires 2001